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grenier - cisterciens       
La pensée cistercienne :
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 message : l'amour, l'Incarnation, Marie, l'existence chrétienne
          -sermons de saint Bernard de Clairvaux à partir du Cantique des Cantiques, extraits
          - florilège : très souvent cités : l'amitié,  la joie, la prière, le repos, le silence... et bien d'autres
Un aujourd'hui de la vie cistercienne : les événements   -  Tibhirine - la lectio divina   -  la liturgie
L'histoire du monachisme cistercien
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TROISIEME PARTIE : l'Ordre Cistercien dans l'Histoire 

2. Evolution de l'Ordre Cistercien en ses premiers siècles 

1. Les monastères

En 1153, à la mort de saint Bernard de Clairvaux, l'Ordre compte environ 350 maisons, alors que vingt ans auparavant il n'en comptait que 70. Il continuera à se développer, plus ou moins suivant les régions, jusqu'au 14ème siècle. Il s'étend alors du Portugal à l'Ecosse, de la Norvège moyenne et de la Suède méridionale à la Sicile, de l'Irlande et de la Bretagne à la Pologne et à la Hongrie. Il a effectué une riche implantation en pays germanique. La plus forte concentration reste en France.
L'ordre comprend, à la date de la mort de Bernard, 25 couvents féminins. Certaines maisons se mettent à observer les coutumes cisterciennes sans que l'on connaisse les liens qui les unissent à d'autres et à des communautés masculines. Vers 1300, il y aurait plus de 400 couvents féminins…

senanqueC'est d'abord dans chacune des premières fondations de l'Ordre que se favorise l'expansion : une bonne gestion des revenus, le soin apporté à l'entretien : rénovation, agrandissement des bâtiments, le progrès dans l'exploitation des terres et des forêts, permettent l'accueil de nombreux disciples. Bientôt leur nombre appelle à l'essaimage… Les nouveaux établissements sont la forme la plus intense de l'expansion : formés à l'école des premiers fondateurs, ils en gardent le dynamisme spirituel.
Il arrive que des religieux, peu nombreux, abandonnent à l'Ordre cistercien le couvent qu'ils habitaient… quelques-uns d'entre eux peuvent se joindre aux nouveaux-venus.
Des établissements existent qui abritent alors des communautés isolées, peu structurées. Celles-ci, touchées par l'idéal cistercien demandent à rejoindre l'Ordre. Elles seront incorporées sous la tutelle d'une des abbayes.

En 1150 à première vue la situation parait excellente, mais déjà aux yeux de certains abbés, la réussite pose problème. Ils sentent monter le risque de la rupture de l'unanimité, pourtant bien prévue dans la Charte de Charité !
Au moment de l'incorporation de certaines maisons, l'Ordre a cru bon de respecter certaines de leurs pratiques. Des diversités vont alors s'établir, se multiplier. Si une différence parait peu de chose pour une abbaye : choix du vêtement, qualité de la nourriture, respect de la clôture, commerce… l'ensemble fait apparaître la dispersion, le trouble, la critique. Elles peuvent être taxées de laxisme, de manquement à la règle…
Par l'essaimage, l'abbaye-fille dépend directement et uniquement de l'abbaye-mère… Un rapport « vertical ». Le lien déterminé par l'incorporation ne peut être absolument de même nature même si tout établissement nouveau est mis sous la tutelle d'une abbaye, le lien est plus « horizontal ».

L'essor, même ralenti, se poursuit et le Chapitre Général veille… Les abbés dans leurs visites annuelles aux monastères ont noté les erreurs, les manquements… En Chapitre Général, ils font le point sur tout ce qui paraît à corriger, à redresser, à supprimer… Il s'applique à réviser les règles de la Charte de Charité, à les préciser, les augmenter… pour fournir de nouveaux préceptes adaptés aux nouvelles formes de vie de l'Ordre.
En 1151, il demande au Pape Eugène III d'approuver la nouvelle présentation de la Charte de Charité. Une nouvelle codification en 1202, rappelle des préceptes essentiels sur l'isolement des monastères, le nécessaire dépouillement, l'obligation du silence. En 1180 : « Les paroles divines et les remarques des hommes nous avertissent d'avoir à réfréner avec la plus grande attention notre cupidité ». Il fait confiance à chacun pour se réformer personnellement.
Comme les abbés, les abbesses se réunissent en Conseil Général.

2. En Eglise

L'Ordre a eu un profond ascendant sur l'Eglise. 
Saint Bernard, comme les autres abbés, a participé aux fréquents conciles locaux, puis il est intervenu dans l'ensemble de la chrétienté pour que prennent fin les suites malencontreuses d'une double élection papale… Ses nombreuses interventions l'ont fait connaître des évêques. Bien d'autres Abbés ont été remarqués par la bonne gestion de leur établissement, leur dynamisme, leurs qualités spirituelles.
Bientôt l'Eglise va choisir ses pasteurs dans les abbayes cisterciennes. C'était à l'encontre de ce que les Pères fondateurs avaient choisi : les cisterciens n'assureraient pas de charges pastorales. Le Chapitre Général a accepté la dérogation : ses membres connaissaient bien les abbés appelés, bons gestionnaires, hommes de devoir, exemplaires dans le domaine de la spiritualité. Ils pensaient surtout que l'Eglise avait alors besoin de ce service. Plusieurs, comme Pierre, abbé de Bonnevaux - saint Pierre de Tarentaise - vont réorganiser la vie de prière ainsi que la gestion temporelle de leur diocèse. Ils donneront une grande place au service des pauvres. Godefroy, abbé de Fontenay, cousin de Bernard, devint évêque de Langres, Henri de France, moine à Clairvaux devient évêque de Beauvais et ensuite de Reims… Des régions de Suisse, d'Angleterre… ont eu aussi leurs évêques cisterciens…
Baudoin, moine à Clairvaux qui a accompagné Bernard à Rome à l'occasion du schisme, est pris au service du Pape Innocent II. Bernard Paganelli originaire de Pise, religieux à Clairvaux puis abbé aux Tre-Fontane devient en 1145 le pape Eugène III…

L'Ordre Cistercien implanté dans toutes les régions subit la déchirure de la nouvelle double élection papale en 1159. Grande querelle entre le Sacerdoce et l'Empire dont l'enjeu est la liberté de l'Italie face à la puissance germanique. La chrétienté est coupée en deux : France, Angleterre, Sicile, royaumes ibériques reconnaissent Alexandre III alors que l'Allemagne et les pays voisins adhèrent à Victor IV. Les évêques italiens sont divisés… En majorité les moines suivent le choix du pays où ils demeurent. Il y a cependant des exceptions…

Peu à peu, l'Ordre prendra part plus fortement à la vie de l'Eglise.altenberg
Des couvents possédaient des paroisses avec les revenus qui y sont affectés : ils n'ont pas été contraints de les abandonner en s'intégrant à l'ordre. Dans certains pays - pays scandinaves, slaves, contrées orientales de l'Allemagne - il était devenu normal que les moines assurent des tâches pastorales auprès des communautés.
Au 12è et 13è siècle ce sont une dizaine de cardinaux et une centaine d'évêques qui sont choisis dans l'Ordre. Ce qui avait été bien reconnu comme une dérogation parait être devenu normal. Le Chapitre Général se soucie alors de déterminer quel doit être la vie de ces cisterciens ! Sous Innocent III, les missions pour lesquelles ils sont sollicités se comptent par centaines. 
Ils sont jalousés par d'autres religieux, remis en cause par certains de ses membres.

Saint Bernard avait mis en garde sur les déviances possibles des études. Sans mépriser la science, il la jugeait dangereuse pour qui cherche Dieu seul. Dans le sermon 38 de son commentaire du Cantique des Cantiques on peut lire :  « Il y a une multitude innombrable de choses qu'il est permis d'ignorer sans préjudice pour le salut, malgré les grands services qu'ont rendu ces sciences. (…) Que tu saches dans quel ordre, avec quel soin et à quelle fin il faut connaître quelque chose. Dans quel ordre : pour que tu donnes la priorité à ce qui est plus avantageux pour le salut. Avec quel soin : pour que tu apprennes avec plus d'ardeur ce qui rend plus intense l'amour. A quelle fin : non pour satisfaire la vaine gloire ou la curiosité ou quelque envie semblable, mais seulement pour t'édifier toi-même ou le prochain. (§ 3) »
Une littérature unique s'est développée chez les cisterciens jusqu'à la fin du 13ème siècle, elle est essentiellement mystique.
Sous l'influence des dominicains naît l'idée que la connaissance intellectuelle est utile : études des sciences religieuses, livres de grammaire, rhétorique… En 1237, pour suivre les cours de l'université quelques moines de l'Ordre s'installent à Paris dans une demeure donnée à l'abbé de Clairvaux. La fondation de ce collège est confirmée par le chapitre général, c'est celui que nous connaissons aujourd'hui sous le nom du « Collège des Bernardins » ! Le Pape Innocent IV accorde à tous les abbés la liberté d'envoyer des religieux à Paris ou en d'autres écoles pour y écouter des cours de théologie. En même temps dans chaque région, une abbaye au moins devra établir à l'usage de ses moines et de ceux des maisons voisines, une école de théologie.

La réforme grégorienne arrive à son apogée. La place qu'elle a donné au cléricalisme, au rôle de la papauté, tend à imposer l'Eglise comme force dirigeante de la société. L'Ordre cistercien emboîte le pas pour devenir et rester nombreux et puissant dans tous les domaines.

3. Dans le monde
abbmaubuissonContrairement à ce que les fondateurs s'étaient refusés, l'Ordre va se lier de plus en plus à la classe aristocratique. L'autorité acquise par saint Bernard fait désirer à bien des seigneurs l'établissement d'une abbaye sur leurs terres. Les ducs de Bourgogne tirent grande fierté de la présence de la maison mère. Ils y sont inhumés. En 1244 Louis IX qui a une vive estime pour la congrégation et en favorise l'expansion, visite solennellement le monastère en compagnie de sa mère Blanche de Castille, de son épouse et de ses frères et toute la cour en présence du duc de Bourgogne. Les plus grandes abbayes servent de lieu de rassemblement pour les nobles qui y tiennent leur cours. 
Au 13ème siècle les moines reçoivent des droits seigneuriaux et autres et encaissent des rentes procurées par des péages, des justices… Il devient habituel et parfois même obligatoire qu'un fils de bonne naissance fasse un « don d'entrée »  à l'abbaye dont il veut devenir membre. 
Il arrive que des seigneurs fassent appel aux abbés pour traiter leurs différents : par exemple en 1174 l'abbé de Cîteaux est témoin à cautions du traité mettant fin à la guerre entre le duc de Bourgogne, Hugues III et le comte de Nevers.

L'historien Marcel Pacaut : « Il devient impossible de se soustraire aux normes du temps en cette époque où le commerce et la circulation des marchandises et de l'argent deviennent des éléments moteurs de l'économie.
On acquiert terres, prés, bois et vignes, des moulins, des maisons dans des villages, bourgs et villes. 
Les moines blancs commencent à fréquenter les marchés et les foires et à écouler les produits de leur culture, de leur élevage, de leurs forges et autres équipements.
L'enrichissement n'atteint pas de la même manière tous les établissements : un bon nombre reste pauvre et médiocre, certains par pénurie de moyens, d'autres plus délibérément par fidélité.

A côté du plus grand nombre, qui consent aux adaptations et aux accommodements,  - grâce auquel on peut être activement présent dans l'Eglise - et qui admet que les hommes et les sociétés changent, il en est sans doute encore d'autres qui veulent, dans la simplicité de leur cœur, rester fidèles aux principes primitifs. »

Photos wikipedia commons
1. Cloître et clocher de l'Abbaye de Sénanque - EmDee
2. Eglise de l'abbaye d'Altenberg, Westphalie, 1133-1355 - Charlie1965nrw
3. Abbaye de Maubuisson fondée par Blanche de Castille, 1236

Ces notes ont été rédigées à la suite de la consultation de plusieurs ouvrages... cette page doit cependant beaucoup au chapitre 4 du livre de Marcel Pacaut "Les moines blancs" éd. Fayard